SUGGESTION








Depuis plusieurs jours, la chaleur s'était immobilisée
Elle nous portait au bout de ses doigts gras
Et nous suffoquions presque sous sa volonté
Puis comme au terme d'une parturition
Elle s'est percée de part en part
Libérant ses eaux 
Nous attendions ce ruissellement sans y penser
Qui entoure chaque mouvement d'un fredonnement
Une sensation de sûreté
Tout le spectacle se déroule sous les brumes
Nous y participons en ne tapant plus dans nos mains. 








Juin 2019




INSPIRATION




C'est soudain la sensation d'être entière
Contenue dans un silence
Quelque chose de la fronde humaine enfin éloigné
Reste un confort qui vibre aux gencives
Une attention à étirer
La qualité étrangère de l'absence de heurts
Le luxe des choses sans leur réflexion
Un humus
Un délice
L'apprentissage timide d'une délicatesse
Là, soudain
Soudain béante
Un silence bordé de ses largesses
De métaux précieux et de vies parallèles
Un bienfait
Une étrenne
Un soupir qui n'en finirait pas
Comme le retour fortuit
De ce qu'on n'attend plus
Qui réduit d'un coup
Le temps à sa seule évidence







Juillet 2018




COMPLEXION










Le désordre s'est tu
On va chercher jusqu'au fond des mornes
Le coq qui s'étonne de ce soudain écho
Et quelques doigts sur le tambour
Tous pardonnés
Dans la mollesse des sons discrets
Ils nous prennent la main
 Caressent nos nerfs auditifs abusés
Moelleux, oui, est le silence
Pas encore conduit jusqu'à sa perfection
Mais arrondi aux angles, accueillant aux rêves
Enfin là
Sans la présence omnivore de tout ce qui l'étrangle
Redevenu lui-même avec quelques-uns
Des bourdonnements diffus
Qui s'étaient perdus dans la masse





POUSSEE








Nuit après nuit la baie s'échauffe
Immolant ses riverains sous sa puanteur
Métastasée par les algues
L'eau nous raconte
Vous saviez !
Notre destin nous dépasse
Sous son herpès gémit la belle






Invasion de sargasses



Mai 2018


INFLUENCE






Confusion
Dedans dehors
Les liens implacables de la coexistence sont tendus à craquer
Dedans : la vie broussailleuse laquée des flux d'images
Dehors : l'air peut-être
Saturé de tant d'humidité
Imperceptible et pesante au nerf
La queue battante des tempêtes
Balayant le Nord
A liquidé sous ses affronts
Les reliquats de nos amabilités
Nous sommes à vif
Impitoyablement séparés
Prêts à dévorer nos petits
Au moindre signe d'ingratitude
Prêts à nous engloutir nous-mêmes
Chacun étranglé par les mains qu'il croyait
Serrées au cou de l'autre
Chacun cherchant à faire ravaler à son allié défunt
Le cri qu'il est seul à pousser
La guerre bruit sans se trahir








Janvier 2018

PENCHANT








Le silence est devenu magnétique
Les corps encore médusés
Par la brutalité du coït
Chacun rêve sur les ecchymoses
Laissées par cet amant inconnu

Les arbres pleurent 

















Lendemain de Cyclone
Septembre 2017




SOULEVEMENT











Il s'agit bien d'une escalade
Mais sans but autre que sa propre expansion
On cherche des points d'intimité
Un peu confus de n'être plus que patience
Des pans d'eau balaient nos marques
Oui, quelque chose se passe
Nous laissant silencieux
Attentifs
Repliés
Envisageant ce qui pourrait périr
Casser
Chuter
Les vents peuvent ne plus aimer les choses
C'est encore une aventure humaine






Septembre 2017

Alerte cyclonique rouge

COUP DE FOUET






Le décompte se fait dans les couloirs
Les oiseaux n'ont pas encore compris
Ou bien ils tentent une dernière offensive
Pour la beauté du geste
L'Île est tendue sous la Préfecture
Chacun sait mieux que le voisin
La coupe est presque pleine
C'est encore doux, ce gris qui passe
Le danger n'a pas encore mugi sous les embruns
Tant d'eau lave les souvenirs moroses
On verra plus tard









Septembre 2017
Alerte cyclonique rouge





HUMEUR








L'air est devenu muet
Grattés par son ongle
Nous continuons d'aller quelque part
Médusés pourtant par l'inconfort
La chaleur est fulgurante
Sans issue
On sait, une attente
Nous ne boirons pas les cascades
Ni ne regarderons nos murs s'effondrer un à un
Cette fois, le bras des airs ne nous étouffe pas
Mais son emprise est si proche que le soleil nous tue






Septembre 2017

Cyclone Irma










REPLI




+






Il faudra alors laisser travailler la mémoire
Traîtresse, traînée
Il faudra accepter l'inconnu de la trace
Et de l'incroyable douceur des soirs
Laisser se subvertir la trace
Il y aura de la lumière abandonnée
Et du vent, si tiède qu'il sent le sucre
Et de la nuit profuse
Et ce moment
Serré à ras le grand océan
Venu s'abriter au creux de la certitude
Des bétons et des cris d'enfants
Il faudra accepter la lâcheté de la mémoire
Accepter que ce qui fait l'innommable 
Soit, comme ça
A coup de jours et d'inconstance
Réduit à pire que rien
Un souvenir







Août 2017





CONGEDIEMENT






Il faudra précautionneusement replier la chaleur
La maintenir, ramassée et huileuse
Au cas où
Au cas où les épaules
Lui donner un lieu saint au creux de la mémoire
Et sans un mot, sous les paupières closes
L'honorer sans répit
Au fond de chacun des pores de la peau qu'elle cuivrait
Il faudra désapprendre à s'épandre
Se resserrer et s'étonner
De presque supporter
Tous les gris
Les vents
Les pluies
Les claquements des thermomètres
Prévisibles en janvier
Sans blêmir
Il faudra limiter l'idée des bienfaisances
Celle aussi des pénétrations d'un soleil
Disponible, disposé, patient
Résister aux célébrations surannées
Omettre la souvenance
Quand le ciel s'éventrera sur un lit de mercure
Distant, discret, mutique
Loin le point où les jambes étaient nues
Les mains moites et lâches au toucher
Et l'oubli des saisons




Août 2017





IMPULSION












Accrochés aux bords du vide stellaire
Le presque extrême
L'arrondi
Nous voûtons nos os sous les manœuvres obscènes
Les éclats, les fissures de la libération
Orage impensable qui claque à nos oreilles
Nous fait une fois de plus
Craindre pour notre insignifiance
Brutale explosion des règles tacites
Où plus aucun de nous ne mène
Mais attend
Le côtoiement des tonnerres
Avive comme une entaille
Les mémoires de fin du monde
Hypnose
Hypnose et fébrilité
S'abandonner sous les déluges
Est un destin mielleux
La peur passable, la légère excitation
Fermer les voies d'accès à l'anéantissement
L'orage massif, la pleine passivité
L'humilité enfin dans la matrice







Mai 2017








SERREMENT










Rupture soudaine
Les nues s'épanchent
De leur œil tombent des flux gris-vert, gris
Ciment liquide comme la rage
La mer s'oublie, plus de limite sensible
Entre le ciel et l'eau
L'espace s'étrangle
Vomit sa langue au sol et dans les airs
Au creux des épaules les cous s'enfoncent
Surpris d'avoir pu si facilement oublier
Qu'il n'est de douceur que dans l'éphémère
Plus de limite sensible entre le ciel et l'eau
Qu'allons-nous pouvoir croire ?
Priant dans les alcôves
Pour la clôture de nos destins tronqués
L'eau et les odeurs des passés qu'elle baigne
Chaque goutte tombée sur nos voies craquelées
Nous enfonce un peu plus dans un savoir
La grande moisissure nous recouvrira
Un jour
Nos lits, nos peurs, nos morosités capricieuses
Et au règne végétal  raccordera nos songes










Novembre 2016







ELAN
















Alors soudain 
Et pendant des heures
Tout coule
Les murs striés de suie
Les épaules du zamana immortel
La peau laineuse du fruit à pain se fripe
Les rigoles charriant d'anciennes épidémies
Et la lune
Tout fond sous la masse bleu furtif des eaux célestes
Le seul espoir
Le seul
Sous cette plongée
Sans l'équipement savant de la décompression
Le seul appui 
Est là
Quelque part derrière ce béton liquide
Devenu si outrageusement présent
Une pastille
Une marque
Une imperceptible zébrure
Qu'on crée plus qu'on la désigne
Dans un ciel qui
Va bientôt
Bientôt
Rappeler la meute aquanaute au bercail de sa désinvolture
Loin des catastrophes et des prières
Se pousser une nouvelle fois au centuple
Et ouvrir 
Après avoir tant perdu ses eaux
Et ouvrir en quelques secondes
Son ventre encore couvert d'hématomes
Son ventre ingrat
Aux empires mordants
Des seuls soleils








Septembre 2016


PROPULSION





Derrière les astreintes usées des familles
Brutalement
Se hérisse une grande colère
Plus radicale que les armées criminelles
Un souffle guttural qui abonde au Levant
Enveloppe chaque arbre de sa main d'acier
Brandit dans sa précipitation
Les nuages éventrés
Le grondement de ses chars gris-perle laisse les mains immobiles
Qui allaient maintenir leur certitude attachée aux usages
L'indifférence et l'habitude tournent un peu leur nuque
Vers les cieux qui
Sait-on jamais ?











Septembre 2016





MARQUE






Chaque lieu de l'air est saturé
Pressentiment, irritation
L'esprit cyclonique excite les enfants
Les mornes s'affaissent sous sa passion maligne
Les humains pourraient s'entretuer
Autour et en chacun, inséparables
Sont les devoirs rendus aux forces des espaces
Nous pourrions secouer la tête
Tenter de nous en débarrasser
Mais aucune cellule de nos corps
Ne peut rester bouche close
Adonnée qu'elle est à rejeter
Les catastrophes possibles









Fort de France

Août 2016 















FASCINATION











Peau de cendres
Peau de caramel
Peau ambiguë
Peau des nuits bleues
Peau de feuille tombée
 Lumineux roulements des muscles soyeux
Peau d'avant le soir
Lisse aux vents des paysages
Peau hautaine
Peau douce et sucrée à la pupille
Derrière leur commerce
Les corps infinis ont enflammé les désirs des marchands d'âmes
Leur beauté dangereuse les provoquait en silence
Frapper parfois suffisait à ne pas s'y perdre tout à fait










Août 2016







SOUFFLE










Lorsque le soleil a enfin terrassé notre orgueil
Il nous rappelle à l'ampleur
Tapisse à pleines paumes
Nos peaux fatiguées
La douceur. La douceur
Effleurant chaque épaule
Offrant à tous l'excroissance de l'air
Avec une méticuleuse équité











Fort de France
Juillet 2016

TRACE














Le ciel se fend
Libère des raz-de-marée élégants
Verticale est la mesure
Et sur les bords humectés tout attend
Les oiseaux s'étonnent une fois de plus d'être devenus muets
Ni chaud ni froid est le déluge
Bref aussi
Personne ne pleure
Car l'espoir est là, que dans le fond de quelques flaques
Git, bleue et rousse, l'éclaircie










Juin 2016






BOUSCULADE




Ses trente-quatre degrés Celsius en berne
L'air continue de se dissoudre 
Enfin, goutte à goutte il chute au sol du soir
Et laisse de son épreuve le seul souvenir d'un marbre fumant
La nuit s'étale en gémissant
De sa lubricité sortent des mèches de vent dissipées
Chacun les caresse
Vaincu à peine
Le soleil n'a pas d'allié
Il reviendra demain
Seul contre notre entendement
Pavé des bonnes intentions de la fin du monde






Avril, le 28 2016
Martinique 34° Celsius